Décrypter l’intelligence vivante de l’émotion

Étiquette : indignation

Quand l’actualité vient résonner… émotionnellement

Kyiv, Qu’écouter ? Qui écouter ? Comment se laisser in-former ?

J’écoute avec stupeur les informations : L’Ukraine est envahie.

Les militaires aux ordres de Poutine bombardent les villes et les habitants. Ils visent ceux qu’ils nomment les « anti-russes », tuent leurs frères pour rétablir la « Grande Russie ».

Poutine menace d’utiliser l’arme nucléaire. Tétanisés que nous sommes, malgré l’invasion, nous n’enverrons pas de soldats se faire tuer pour l’Ukraine. Ni s’interposer ?

J’ai peur. Suis-je sous les bombardements ? Habité je l’Ukraine ? Suis-je ukrainien ? Suis-je anti ou pro russe ?

Non.

Qu’est-ce que je fais qui contribue à l’exaspération de ma peur ? Je m’informe en regardant seul l’info continue à la télé ou en balayant sans fin le fil d’un réseau social…

Vite un appui. Je sature mon attention d’infos et d’images extérieures.

Je regarde, j’entends se répéter des informations alarmantes, les sirènes avant bombardements. Je suis saisi, ça se crispe en moi. Je retiens mon souffle. Pour avoir de l’air et me sentir plus sûr, je respire plus fortement. Je me rends compte que j’alimente ainsi mon sentiment de peur. Il s’accentue, je m’imagine les méchants russes d’un côté et de l’autre « nous » les démocrates, avec à l’avant-poste, sur le front, des ukrainiens qui se, et nous, défendent.

Je me rends compte que je filtre. L’écho continu comble les espaces vides où je pourrais « penser par moi-même », espaces vides qui me font chercher encore davantage d’appuis, et j’ai peur d’avoir peur. J’angoisse. Je m’imagine moi aussi au milieu de cette guerre, comme victime de bombardements, comme soldat. J’appartiens à un « nous » univoque, coagulé par l’ennemi.

C’est comme si, à force d’être saturé d’images, d’informations, je m’absentais de moi-même, je me confondais avec la communauté des témoins impuissants. Plus personne en moi pour s’appuyer sur quoi que ce soit… je m’absente de moi-même dans une sureté qui s’évanouit aussi vite… une consistance, à chaque instant remise en cause, évanescente…

Et soudain, j’entends un témoignage, celui d’une jeune ukrainienne, Anna. Au 7ème jour de l’invasion, seule dans son appartement à Kyiv, sous le risque permanent d’un bombardement, elle a choisi de vivre dans son couloir plutôt que de se terrer dans le métro.

La journaliste, depuis son studio télé parisien (que je regarde depuis mon salon douillet parisien), lui demande : « Si vous ne partez pas de Kiev c’est parce que vous n’avez pas pu ou bien c’est par choix ? Après un silence, elle répond : « Mais ce n’est pas à nous de partir… c’est aux militaires russes ! ».

Là, sous la menace du feu, elle ajoute : « J’ai une chose importante à vous demander, s’il vous plait, il faut dire « Kyiv », ne dites plus « Kiev » ».

Je fais silence.

Au prix potentiel de sa vie, une jeune Ukrainienne tient à ce que je, nous, dans nos lieux sûrs, disions Kyiv et pas la forme russe Kiev ! L’écouter me serre le cœur. Je me dis « quel courage ! »

Et j’ai peur, moi, à Paris ?

Je ralentis.

Pour être un peu plus à sa hauteur, vivre sans ignorer ce qu’il se passe là et qui me concerne ici, pour davantage habiter mon propre espace – c’est-à-dire avec consistance et liberté, je me demande ce que je peux ajouter dans mon comportement immédiat…

J’arrête la télé.

Le lendemain j’écoute des émissions de radio, sans images, plus approfondies,

Et puis j’écoute parler dans une langue que je ne connais pas, encore, encore.

Écouter, laisser résonner. Je me sens lié. Sans comprendre. Imaginer.

Je lis des articles de fond, traduits de l’ukrainien ou du russe, écrits depuis d’autres contextes, je fais des liens avec d’autres textes, je m’étonne de certains mots, je cherche à prendre en compte d’autres points de vue…

J’ai d’abord l’impression d’être davantage perdu, sans opinion, sans avis univoque à croire ou rejeter, et plus je persévère et fais du tri et plus « la lumière se fait » : des appuis commencent à se faire jour. Je me dis que c’est difficile de comprendre ET je me sens plus assuré.

Je mobilise ma capacité de penser, je fais de la place et me fabrique un, des, avis, une représentation kaléidoscope, et non plus simplement binaire.

Ce que je trouve : coincé que j’étais dans une angoisse, maintenant je me donne du champ, de la liberté et des appuis. Penser un peu différemment. Retrouver tout à la fois sérénité et rage. Par un travail d’appropriation, en filtrant les informations… Ce qui est réel est bien là, présent, mais ma représentation du réel, sous forme de menace, se mâtine d’autres représentations, d’indignation. Je retrouve de la capacité d’agir, de dire. J’écris un travail sur ce sujet que je partagerai avec d’autres. Je me fie à mes propres ressources intérieures davantage que je me fonds dans l’opinion « pilule ».

Sous la menace de bombe, Anna se dit, Anna nous dit, Anna nous donne à entendre à quel point certains mots, certains sons (« Kyiv ») sont essentiels à la vie, quitte à, pour un temps, surseoir à sa propre sûreté, quitte à, pour un temps, assourdir ses propres maux.

Elle nous rappelle : les mots créent le monde que nous voulons voir advenir. Quel mot souhaitez-vous faire entendre ? Quels mots étrangers à vous même écoutez-vous comme on regarde au fond des yeux d’un être cher : non pour sonder mais pour faire écho et dire « Tu es » à notre sœur. Anna quand elle s’adresse à nous ? « Anna tu es » et Kyiv m’habite déjà radicalement différemment depuis que je me suis laissé in-former par toi, quoiqu’il advienne, je suis un peu de ce Kyiv, modeste et humble, presque rien et déjà tant face aux métaux aveugles et brûlants.

A quel point, écoutons-nous, habitons-nous les mots que nos frères, nos proches, nous offrent à entendre ? Ces mots étranges qui disent tout à la fois, à qui veut bien les entendre indiscernables dans le bruit et la fureur, et leur humanité et la nôtre ?

Car écouter, quand bien même, c’est un geste de reconnaissance : je reconnais que tu existes, et de fraternité : sans te comprendre, tant que je continue à t’écouter, tu es mon frère. J’appartiens à la même communauté des humains, et en même temps nos identités sont singulières.

Serait-ce là, la voie vers la paix ?

Usha Matisson

Pour apprendre à « écouter pour mieux s’entendre » :

Institut de Logique Emotionnelle - 9 rue d'Avron 75020 Paris

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