Décrypter l’intelligence vivante de l’émotion

« Je me souviens… » de Boris Cyrulnik

par Anne-Béatrice Leygues

« Je me souviens »

de Boris Cyrulnik

Fiche de lecture de Anne-Béatrice Leygues

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Boris, en décidant de revenir à Bordeaux, ville de son enfance, fait un retour sur lui-même pour comprendre comment la mémoire s’organise pour rendre le passé accessible.

Il observe que ce sont ses capacités de rébellion, de non soumission et de pitre qui l’ont toujours sauvé.  C’est à dire des stratégies de survie que nous possédons dans notre mémoire ancestrale.

Il nous livre ainsi sa réflexion sur la mémoire, les stratégies d’adaptation, le retour traumatique du souvenir et le travail énorme qui se réalise en nous dans les situations que la vie nous donne à éprouver.

Paradoxe qui fait douter de ce que nous voyons :

À 5 ans Boris voit les troupes défiler comme un jour de fête, pendant que toute sa famille pleure…

La mémoire traumatique transforme, amplifie et/ou minimise.

S’il y a traumatisme, c’est que le réel est invraisemblable.

Au plus profond de nous les traces sont précises mais ensuite pour rendre cohérent le souvenir, nous en arrangeons le pourtour, la forme…

«Des morceaux de vérités claires dans un ensemble flou, incertain.»

À 7 ans, Boris avait conscience d’être condamné à mort mais sans savoir pourquoi : pour quelque chose qu’il ne connaissait pas : il était né juif.

P 28 : L’injustice ce sont  les contresens affectifs.

–     Quelqu’un que j’aime agresse ma mère

–     Le regard de cette dame généreuse qui m’a fait prendre conscience de ma saleté m’a blessé

De cette époque où j’étais dans une stratégie de survie je n’ai aucun souvenir d’émotion … je n’ai que des images et des mots sans émoi…

Il a beaucoup de mal à rappeler le passé car cela implique de faire revenir «l’émotion enfouie »

« Je fais alors comme une enquête archéologique en parlant de moi à la 3ème personne ».

Lorsque nous apprenons à nous défendre, à survivre, nous continuons à le faire même quand il n’y a plus de raison, quand ça n’a plus de sens  « apparemment ».

La mémoire est faite de fragments et les autres participent à nos souvenirs:

Pour Boris les témoignages tardifs sont une source d’angoisse car ils font rejaillir une peur archaïque. Tant qu’il croyait que personne ne l’avait vu, il se sentait en sécurité. Dès lors qu’il réalise l’existence de témoins, il prend conscience qu’il aurait pu être dénoncé.

Nous vivons vraiment dans le regard des autres et nous en ignorons la puissance.

La mémoire, ce n’est pas le simple retour du souvenir, c’est une représentation du passé… Nous nous rappelons de morceaux de vérité que nous arrangeons comme une chimère. (Toutes les parties sont vraies mais la chimère n’existe pas).

Réfléchir par opposition à la confrontation du réel permet d’apprivoiser l’émotion.

P 46-47  : Pour nous protéger de la souffrance des souvenirs, nous préférons éviter de les  re-contacter.

Le déni est un mécanisme de défense qui permet d’éviter l’évocation de ce qui fait souffrir.

Boris, pour éviter de souffrir ne se retourne jamais, ni pleure, ni se plaint.

Son système d’équilibre consistait en une amputation de sa personnalité par légitime défense.

P 51 : Boris revoit le même rai de lumière et fait remonter une émotion de surprise de confirmation de la réalité de sa vie… toutes les vies sont folles…

À 6,5 ans, Boris est arrêté par des inspecteurs français. Il en conclut qu’il est vraiment une personne très importante : tant de personnes mobilisées rien que pour lui !

Il réalise combien cela lui a permis de se considérer comme une personne de valeur et …. en est resté mégalo -:)

Il trouve absurde les lunettes noires en pleine nuit : les adultes ne sont pas des gens très sérieux.

Les détails anodins qui permettent de se détourner de la logique des adultes : les lunettes noires, la glotte du monsieur qui monte et descend : ça c’est intéressant !

P 62 : A la synagogue : Boris est très gai, il repère les portes, fenêtres, il écoute les adultes pour comprendre la situation et trouver grâce à son tempérament la solution.

L’apprentissage d’un type de relation, une sorte de goût du monde que l’on acquiert très tôt dans la vie, une empreinte très précoce.

Avec l’insoumission cela permet le processus résilient

Rebelle signifie se déterminer par rapport à soi.

La réussite du processus résilient tient à la réussite de la solution trouvée : « T’inquiète pas  ça va aller,  il y a toujours une solution… la liberté est au bout de ton effort, ils ne m’auront pas il y a toujours une solution »

Le sentiment de victoire est une reconstruction après coup : avoir pu maîtriser une partie de la situation donne une grande confiance en soi.

La résilience se fait grâce à la transformation de l’émotion.

D’un point de vue « LE »

Ce petit livre retrace les chemins de vie, les processus émotionnels, autrement dit, en langage LE: les tetralèmes de Boris.

Ses perceptions, sensations, ses actions ou réactions pour nourrir son besoin de sécurité.

Il démontre par son récit comment les perceptions peuvent être vraies et pas vraies et les sensations vraies.

Il rend hommage aux stratégies qui l’ont sauvé, à la transformation de l’émotion dans la mémoire pour réaliser le processus de résilience. 

« Les nourritures affectives » de Boris Cyrulnik

Fiche de lecture présentée par Sylvie Even (juin 2016) – PPLE 9

Boris Cyrulnik

Les nourritures affectives

Edition Odile Jacob poches
Paru en 1993
Biographie

1937 : Né à Bordeaux dans une famille d’immigrés juifs (son père, ébéniste, était russo-ukrainien et sa mère polonaise) arrivée en France dans les années 1930
1942 : Mis en pension pour lui éviter d’être arrêté par les nazis puis placé à l’Assistance publique où il est recueilli par une institutrice qui le cache
1944 : victime d’une rafle, il échappe à la déportation grâce à une infirmière. Pris en charge et caché par un réseau , placé comme garçon de ferme jusqu’à la Libération.
Ses parents meurent en déportation. Il est recueilli par une tante maternelle qui l’élève.
Cette expérience personnelle traumatisante l’a poussé à devenir psychiatre.
Dans les années 1960 : il fait ses études supérieures à la faculté de médecine de Paris   
1967-1969 : interne du service de neurochirurgie à Paris puis interne du service de psychiatrie  de l’hôpital de Digne
Jusqu’en 1979 il occupe le poste de médecin chef dans un service de post cure psychiatrique
1979 – 1991 : il s’installe comme psychanalyste à mi-temps tout en donnant des consultations au centre hospitalier intercommunal de Toulon où il créé un groupe de recherches en éthologie clinique
1995 – 1996 il devient directeur d’enseignement d’un DU de la faculté des lettres et sciences humaines de Toulon

Préambule

Son approche
Briser les dogmes
Réfléchir de manière intégrative
Se méfier des certitudes
Seulement 3 catégories de personnes qui ont des certitudes
= > les enfants ; ils ont tout à découvrir
= > les ignorants ; moins on a de connaissances, plus on a de certitudes
= > les fanatiques ; 1 certitude, la voix du chef

L’état d’esprit qui gouverne son discours
La perception du « JE »
= > JE suis sujet de mes émotions, de mon action, de mes pensées, de ma parole tel que je suis dans le réel
= > Je me fais une représentation de MOI ; c’est l’image que je me fais de moi
« JE » est non conscient, actionné par mon système nerveux
« MOI » est la représentation hyper consciente que je me fais de moi
Il existe une synchronisation entre ce que je sors de moi et de ce que je me représente de moi

L’affectivité telle que nous la présente Boris Cyrulnik
L’Affectivité comme tissu de l’existence où se mêlent le « JE » de l’action et le « MOI » des représentations conjugués au « NOUS » de l’altérité à travers 6 idées.
Celle de la rencontre amoureuse qui, nous dit-il, ne doit pas grand-chose au hasard.
Elle est plutôt la résultante d’interprétation de signaux où chacun va se projeter ou non en fonction de son histoire.
Il dit « Tout organisme établit avec son milieu des échanges constants, ce qui implique que son cerveau et ses organes sensoriels soient organisés de manière à percevoir dans le milieu extérieur des signaux utiles à notre milieu intérieur »
Ces signaux sont perçus par nos sens
La vue
« N’ayant pas la même histoire, nous n’avons pas les mêmes yeux, nous ne pouvons donc pas rencontrer les mêmes objets ! »
Lorsque nous croisons quelqu’un, cette personne n’est pas forcément un objet signifiant ; la valeur émotionnelle portée varie en fonction de notre histoire.
L’odorat
« L’odeur fonctionne comme une information souvent non consciente qui, d’emblée, présentifie l’absent avec l’émotion qui lui était associée ». (la Madeleine de Proust)

Chez l’animal c’est différent…
Exemple : Lorsque je reçois une personne chez moi, mon chien va conserver l’odeur de cette personne même quand cette dernière sera partie comme si elle était toujours présente alors que moi, être humain, je n’en aurai plus que le souvenir par l’émotion, parfois inconsciente, que je lui aurai attribuée.
La voix
Elle aussi contient bon nombre de signaux.
Lorsque nous parlons à quelqu’un au téléphone, nous pouvons deviner le sexe, l’âge, l’humeur, la culture, le niveau social de notre interlocuteur.
« … sitôt perçu, le signal renvoie une autre information non perçue et représentée ».
« Ce qui va faciliter la rencontre, c’est une émission sensorielle que l’organisme est apte à saisir, par contiguïté et similarité des deux équipements neuro-sensoriels. »
Au-delà des sens, il y a aussi l’apparence physique qui rentre en compte.
Le port de la barbe ou de la moustache en fonction de l’époque et de la culture a parfois une tout autre signification.
Exemple : la moustache en brosse des dictateurs les plus connus d’Amérique latine.
Les vêtements délivrent également des éléments sur sa position sociale.
« Tout vêtement serait ainsi un discours non verbal où les signes textiles remplaceraient les signes sonores de la parole ou ceux dessinés de l’écriture ».
Ces signaux que capte le regard vont également se transformer en signes.
Pour qu’il y ait rencontre il faut avoir été séparé (je reviendrai sur ce point un peu plus loin) et que chacun manifeste par ses signaux la même sensibilité.
« Ce qui s’exprime dans la rencontre amoureuse, c’est un discours émotionnel ».
Exemple : une femme attirée par « les chiens battus »
Pour qu’un rapprochement ait lieu, qu’il y ait synchronisation des émotions il faut se mettre en scène en respectant des codes ; la distance entre les corps, la posture, la gestuelle, la façon de parler…
Les animaux pour gérer l’émotion de la rencontre ont mis au point un rituel.
Rituel animal ex du chien qui va renifler le sexe de l’objet convoité et simulé un chevauchement, qui permet la synchronisation des émotions et le positionnement social.
Le rituel chez l’homme commence par un geste de salutation qui varie selon les cultures
= > Il y a création d’un espace émotif entre les locuteurs
Le regard, qui est la vue sensorielle la plus émouvante, constitue une alerte émotive qui va délivrer un message d’invite ou d’agression.
= > la réaction va dépendre du contexte et de l’histoire des personnes qui se regardent.
« Avant de se toucher, toutes les sensorialités ont créé le sentiment de la proximité.  Mais pour provoquer ainsi un moment de forte émotion, il a fallu déclencher les facteurs qui gouvernent les circuits du toucher : le sexe, l’âge, le statut social et l’histoire antérieure qui constituent les plus puissants organisateurs du toucher ».
La sensorialité de la rencontre est codée. Tous les sens ont un sens
« Tout est codé. Bien avant les sons qui permettent la parole, nos autres sens participent à la mise en signes du monde perçu. Un univers sans rencontre, un univers privé d’autres me laisserait seul, avec moi-même pour toute rencontre, toujours le même, sans surprise, sans émotion, jusqu’à la routine, l’engourdissement et la non-vie avant la mort.
La rencontre créé un champ sensoriel qui me décentre et m’invite à exister, à sortir de moi-même pour vivre avant la mort. C’est pourquoi il y a toujours quelque chose de sensuel dans la rencontre qui m’excite et qui m’effraie, comme la vie ».
« Mais dès que je sors de moi pour aller à la rencontre d’une femme, la sexualité pointe son nez, elle donne la vie et tout est à reprendre ».

Ce qui nous amène à la 2éme idée qu’il nous expose…
Produit de cette rencontre, la communication du fœtus avec sa mère.
Il souligne l’importance de l’interaction mère – enfant.
Le contexte dans lequel est né le désir d’enfant va influer sur l’enfant à naître ; mais aussi les projections que vont faire les parents à partir de leur propre histoire ; la vie de la mère pendant la grossesse, si le père est présent ou non ; le contexte familial, social…

Au cours de la grossesse, les odeurs que respirent la mère, qui parfument le liquide amniotique, influent sur le rythme cardiaque du fœtus ou le fait changer de posture. Il en garde des traces inconscientes et c’est pourquoi à la naissance il se rassure dans l’odeur de sa mère et devient vigilant dans une autre odeur.
La résonance des fréquences graves des paroles de la mère agit comme un toucher sur le fœtus, le stimule et l’encourage à explorer avec ses mains et sa bouche.
« Quand la mère parle, le bébé la goûte ».
La peau du fœtus reçoit les vibrations émises aux moindres changements de posture, de crispations de la mère comme des messages auxquels il se synchronise en changeant de position.
Au 9ème mois, c’est lui qui prend l’initiative de ses comportements.
Il s’agite quand elle se détend.
L’activité de la mère rythme la journée du petit ; cette rythmicité constitue pour lui un objet sensoriel qui structure sa perception du temps.
B. Cyrulnik parle d’autisme fœtal si les interactions mère-enfant ne permettent pas au temps de devenir un objet sensoriel, les sens n’auraient pas le temps de prendre sens.
La mère créé une écologie affective très différente selon qu’elle est hyperactive ou alanguie, stressée ou sécurisée.
Expérience des rattes enceintes – Jacques Cosnier – Professeur émérite fac de Lyon
Taper sur la cage
Offrande de nourriture
= > le moindre bruit faisaient sursauter les petits nés de la mère dont la cage avait été tapée un coup de sifflet, objet de stress, les menaient jusqu’à la convulsion alors que les autres petits nés de la mère à l’offrande mettaient beaucoup plus de temps à réagir
Si la mère n’est pas sécurisée, le moindre bruit devient un stress pour le bébé.
C’est le malheur de la mère qui transmet le stress à l’enfant (absence de père, guerre, précarité).
Lorsque le bébé naît il est déjà personnalisé par son profil comportemental, son émotivité et ses premières représentations mentales.
Il arrive dans un monde déjà structuré par un mythe dans lequel il va se construire.
L’enfant s’imprègne de la culture qui le façonne. La culture est introduite dans la façon dont on l’accueille.
Il est façonné par la représentation qu’on a de lui, notamment en fonction du sexe auquel il appartient.

La 3ème idée qu’il développe concerne l’appartenance de l’enfant
« Un nouveau-né qui n’appartient pas est condamné à mourir ou à du mal à se développer. Mais un enfant qui appartient est condamné à se laisser façonner par ceux à qui il appartient. Le plaisir de devenir soi-même, de savoir qui on est, d’où on vient, comment on aime vivre, passe par le lien qu’on tisse avec les autres. »

Tout d’abord… quelle est la part de l’inné et de l’acquis ?
Difficulté à séparer l’héréditaire de l’hérité même chez les animaux
Expérience : Les singes macaques répertoriés implantés sur une île
Une des mères a un jour lavé des patates douces et les a salées en les trempant dans l’eau de mer.
= > un nouveau rituel a été socialisé et est transmis à chaque génération
Parmi les humains, il y a de petits transporteurs de sérotonine (neurotransmetteurs) qui sont de ce fait des êtres hypersensibles ; tout les touche.
En milieu stable, c’est un facteur d’émotions et de sensibilité
Mais en milieu de précarité, c‘est un facteur de vulnérabilité ; ils auront plus de mal que les autres à faire face aux épreuves
Il y a des déterminants génétiques (sexe, couleur de peau) mais il n’existe pas de programme génétique
= > la biologie et le milieu s’intègrent
« L’appartenance a 2 pôles : la familiarité et la filiation.
La familiarité s’alimente de biologique, de mémoire et de sensorialité quotidienne alors que la filiation s’alimente de culture.»

Pour exister l’enfant a aussi besoin d’appartenir à un groupe à une culture.
« Le « JE » ne peut exister sans un « NOUS auquel il appartient. »
 « Quand on ne sait pas d’où l’on vient on ne peut pas savoir où l’on va ».
Que l’enfant appartienne à celui qui l’a engendré, à celle qui l’a porté où à une structure plus large selon les cultures, la connaissance de ses origines est ce qui va structurer son temps.
En l’absence d’appartenance, certains se tournent vers les sectes qui leur fournissent une raison de vivre.
Le monde pour être structurant a mis en place des rituels.
Si les rituels ne peuvent s’instaurer la violence apparaît.
C’est la 4ème idée

Le rituel constitue une structure homéostatique.
Mais pour qu’il y ait conscience de la violence il faut que les mondes se comprennent.
Ex : chat et la souris
La représentation de l’évènement est différente chez le chat, la souris et l’humain.
Les animaux ne sont pas violents tant que les processus biologiques et écologiques sont équilibrants
Ex : Goeland avance avec un poisson
= > rituel qui représente un geste filial
Si on fait tomber le poisson et que l’on modifie l’aspect de l’approchant
L’autre prend peur = > plus le repère du rituel
= > il fuit ou il devient violent
« L’animal peut modifier son comportement à partir d’informations sensorielles alors que l’Homme répond à ses propres représentations au nom d’un idéal ».
Ex : une lionne qui se dirige vers un point d’eau ne sera pas une menace pour le gnou à ses côtés car la priorité du moment pour la lionne est l’eau
Ex : dans un acte raciste lorsque la représentation de l’Autre évoque la haine, le bourreau n’a pas conscience de la violence car son seul but est d’agir selon son idéal.
= > il répond à ses propres représentations et non plus à ses perceptions
Mais si cette personne avait rencontré l’Autre dans un autre contexte, s’il l’avait connu, sans doute aurait-elle éprouvé une émotion à l’idée de lui faire du mal.
« Chez l’Homme la représentation d’un monde peut exister en dehors de toute perception alors que chez l’animal les deux processus restent associés ».
Pour que les rituels puissent s’exprimer, le milieu ne doit être ni trop pauvre ni trop riche
Trop pauvre, le manque de stimulations extérieures entraîne un appauvrissement du milieu ; le corps devient le seul objet du monde extérieur et conduit à un repli sur soi-même
Ex : les animaux d’un zoo ne peuvent pas respecter leurs rituels en raison d’un environnement restreint par rapport à leur milieu naturel
= > conduit à la frustration, génère du stress
Trop riche, l’hyperstimulation ne laisse pas le temps aux émotions de s’exprimer
Ex : une population de rats dans une cage ; ils se reproduisent mais quand le nombre devient trop important pour l’espace les rituels n’ont plus le temps de s’installer et ils régulent en s’entretuant
= > conduit à une désorganisation des rituels
Dans cette autre forme de violence qu’est l’inceste, plus particulièrement l’inceste mère-enfant, c’est la fusion qui s’établit entre la mère et l’enfant qui empêche l’enfant de se détacher de sa mère. (Développement de la 5ème idée)
L’enfant par la non-présence du père ou de tiers de référence représentant l’interdit n’a pas pu être suffisamment sécurisé pour aller chercher à l’extérieur des nourritures culturelle, sportive, intellectuelle ou affective. L’objet sexuel ne peut se différencier de l’objet affectif.
Il est impensable car le lien mère-enfant est d’abord biologique ; elle l’a porté. Une structure sensorielle les unit. Tandis que le lien père-enfant s’établit, selon la culture, comme une parenté proche.
Dans le cas d’un confinement affectif, comme une mère sans stimulation extérieure avec un enfant qui comble l’absence du père, l’enfant n’aura d’autres choix pour fuir l’inceste que de haïr sa mère.
L’homosexualité permet d’éviter l’inceste et la haine.
Boris Cyrulnik nous montre comment les émotions qui gouvernent notre vie nourrie par la nécessaire interaction avec notre milieu, laissent des traces non représentées. (dernière idée présentée)
Ce que nous racontons dans le présent des faits passés n’est que la représentation que nous nous en faisons au moment où nous parlons à partir des informations qui auront été retenues de notre histoire affective.
Ce récit peut par conséquent changer en fonction de la personne à qui nous nous adressons, du contexte, le moment où l’histoire est racontée.
« Les notes prises au jour le jour donnent forme à l’impression du moment que l’on vit, mais c’est la relation du moment où l’on parle qui donne forme à nos souvenirs. Voilà pourquoi le palimpseste s’oppose au récit et pourquoi «  les récits sont des impostures » qui témoignent moins du réel passé que de l’intimité du narrateur. »

Exemple : Ana Novac Auschwitz. Lui a donné la force de survivre décollait affiche pour y noter ce qu’elle vivait.
Lorsqu’elle a retrouvé les 700 pages de son journal => différent de ce qu’elle avait raconté jusqu’alors.
Nous refoulons ce qui est indicible pour pouvoir continuer à vivre mais lorsqu’un évènement survient (choc, maladie,…) les évènements douloureux du passé peuvent resurgir.
Si un traumatisme n’a pu être raconté par l’obligation de se taire, par des interdits, l’évènement est revécu dans le présent comme lorsqu’il est survenu.

La chimère (Autobiographie d’un épouvantail – 7 janvier 2009)

Tout est vrai et pourtant l’animal n’existe pas…

Ce phénomène est appelé palimpseste*.
*Palimpseste : Parchemin dont la première écriture, grattée ou lavée, a fait place à un nouveau texte.
« Les évènements passés vivent en exil dans notre mémoire. Ils reviendront un jour si le présent ne les chasse plus. »

Il est fréquent chez les âgés.
Boris Cyrulnik parle d’effet palimpseste pour définir les traces enfouies dans notre cerveau quand l’appauvrissement du contexte réveille la mémoire du passé.
On entend dire que les âgés retombent en enfance… mais ce n’est qu’une interprétation de ce qui est perçu
Ex : une dame âgée est admise à l’hôpital après une petite chute.
Mais arrivée à l’hôpital elle se croît chez elle, elle ne situe pas ses perceptions dans le contexte.
Ensuite elle reconnaît son fils en la personne du médecin. Son monde se déshumanise.
Elle ne communique plus ; elle ne sait plus vivre dans un monde interhumain.
Alors elle s’attache à des objets inanimés. Elle s’endort avec une poupée, range son sac inlassablement, lisse son drap.
Puis la vie devenant purement végétative, elle ne mange plus, respire de moins en moins bien et s’éteint.
L’enfant, avec sa peluche, substitut de sa mère absente, l’imprègne de sens et de signification alors que pour l’âgé la peluche n’est qu’une chose sans affect.
Mais l’appauvrissement du contexte peut être limité par le récit.
Le fait de raconter, même si le récit est adapté à l’environnement, est une action.
L’âgé doit adopté une posture pour capter l’attention et raconter son histoire va lui demander un travail de maîtrise de ses émotions dans sa relation à l’autre.
« Le récit offrirait aux âgés ce que la fuite dans l’action offre aux adultes ».

« Éloge de la fuite » de Henri Laborit

par Laurent CHATAING

ÉLOGE DE LA FUITE

Henri Laborit

Fiche de lecture par Laurent CHATAING

PROMOTION 8  PSYCHOPRATICIEN LE
 MAI 2015


L’éloge de la fuite est l’ouvrage qui, avec « mon oncle d’Amérique », le film d’Alain Resnais, a fait connaitre Henri Laborit au plus grand public. Il marque une étape dans le regard que l’homme porte sur son existence, nous invitant à nous voir comme des êtres vivant…pour vivre, obsédés par la recherche de dominance. Celle-ci peut être décrite comme l’a fait H. Laborit, comme la dominance des individus entre eux. Elle peut aussi être vue comme la recherche de dominance vis-à-vis du seul fait d’être mortel et animé par un système nerveux largement non conscient et automatique et qui nous contraint à notre seule subjectivité !
Les travaux de H. Laborit ont ouverts la voie aux neurosciences. Nous ne pouvons que rendre hommage à ce chercheur exceptionnel. Merci à Laurent pour cette fiche de lecture si complète et de ses propres commentaires au fil de la présentation.

C.APerissol


ÉLOGE DE LA FUITE
Henri LABORIT  1914 – 1995

Initialement chirurgien, il s’oriente vers la recherche avec la découverte de plusieurs psychotropes dont le 1er  neuroleptique, la chlorpromazine, de techniques d’hibernation et d’anesthésier pour la chirurgie, il se passionne également pour l’étude de la biologie des comportements, ce qui lui permet d’éclairer d’un jour nouveau de nombreux pans de l’activité humaine.
 Il a milité pour le décloisonnement scientifique, (suggérant des équipes de mono-techniciens poly conceptuels) , seul garant d’une approche globale de phénomènes complexes comme le vivant , à l’encontre de la tendance moderne au réductionnisme ,mettant en avant pour cela  l’importance de la notion de niveaux d’organisation et de son corollaire =le fait qu’une structure est toujours plus que la simple somme des éléments qui la composent
 
INTRODUCTION

nous ne vivons que pour vivre, grâce à notre système nerveux (SN) qui n’a comme rôle que celui d’agir pour maintenir notre structure, grâce:

  •    aux pulsions ; boire, manger, copuler étant les principales, (cerveau reptilien)
  •    à l’apprentissage de ce que l’extérieur modifie de nos pulsions (cerveau limbique)
  •    qui permet l’apparition de l’imaginaire (cerveau cognitif)

 
le fait que les mammifères ont un cerveau limbique, qui mémorise le fait que pour obtenir un objet ou un être gratifiant ,nous nous trouvons toujours en compétition avec nos semblables, explique  l’obligation que des systèmes hiérarchiques de dominance se retrouvent dans toutes les organisations humaines  (d’où le titre du livre car LABORIT pense que la seule façon d’échapper à l’aliénation à la hiérarchie est la fuite )
 
le moyen  de la dominance a évolué :il est passé de  la force physique  au capital , puis à la possession des outils de production, puis désormais à la possession d’un  degré d’abstraction intellectuel nécessaire à inventer des outils techniques de plus en plus sophistiqués (dont les armes qui permettront de soumettre par la force(on y revient !) les dominés, entre autre pour leur voler les matières 1éres que les dominants ne possèdent pas sur leur niche écologique d’origine)
De ce fait pour un simple problème de probabilité, les  pays à forte population ont plus de chances de rester/devenir dominants du fait du nombre théoriquement supérieur de « cerveaux » qu’ils possèdent
 
Rester normal devient alors » rester normal par rapport à soi même « , pour cela il faut conserver la possibilité d’agir : 4 cas de figure
l’action gratifiante est possible =renforcement de l’action gratifiante (faisceau de la récompense (MFB =médial forebrain bundle))
elle ne l’est pas : les 3 réponses classiques de LABORIT = fuite, lutte, soumission. Les deux solutions médiées par le faisceau de la punition (PVS periventricular systeme )

  • la lutte : mais aboutit soit à la disparition/destruction par le dominant, soit à une réinsertion dans un nouveau  système de dominance
  • la fuite -dans les drogues , la psychose , le suicide-dans l’imaginaire notamment l’art , la recherche scientifique
  • la soumission  elle met en jeu le système d’inhibition de l’action (SIA) endocrinosympathique  qui, s’il reste durablement actif, va donner naissance à l’angoisse et aux affections pyscho somatiques (HTA, dépression, troubles du sommeil, de l’immunité (infections, cancers…).A noter que pour LABORIT notre médecine occidentale est simplement une médecine de l’urgence, puisqu’elle ne traite que la phase finale de tout un processus pathologique causal, qu’elle méconnait totalement.

  A partir de ces notions LABORIT  va nous donner son point de vue sur différents domaines humains (l’Amour ,la  politique , la foi…) où il va mettre l’accent sur notre totale absence de liberté liée au fait que nous sommes dirigés par notre inconscient,  toujours dans le sens de la dominance , et que nous habillons tout ceci de belles phrases totalement creuses ,sans rapport avec la réalité.
 
 L ‘ AMOUR


   -c’est pour lui un mot dangereux puisque de tout temps c’est une tunique honorable pour toutes les atrocités humaines : l’Amour de la Justice, de la Patrie, de Dieu…a mené …aux croisades, inquisition, guerres, exécutions, tortures …
-l’amour entre deux êtres humains nait du renforcement de l’action gratifiante, autorisée par l’autre  dans notre espace opérationnel
 -le refus de ce renforcement par l’autre ou son caractère partiel (infidélité) blesse l’image idéale que l’on se fait de soi, notre narcissisme, et initie soit la dépression, soit l’agressivité, soit le dénigrement de l’être aimé
 -pour que l’amour soit heureux il faut admettre sa part imaginaire, créatrice, culturelle, et surtout ne pas vouloir la calquer sur l’être réel sous peine de déception
 -le vrai amour devrait être inconditionnel, mais il est alors souvent taxé d’indifférence
 -dans l’amour au sens large=l’altruisme, il n’y a rien de remarquable, c’est uniquement une satisfaction de nos pulsions
 
UNE IDÉE DE L’HOMME


 -le langage n’est qu’une interprétation logique/rationalisation  des faits de conscience qui sont eux la conséquence des pulsions et acquis culturels inconscients
 -les hiérarchies de dominance sont ainsi justifiées par le discours, ce qui est une tromperie
 – le rêve est une libération de l’inconscient
 
 L’ANGOISSE

 -la source profonde de notre angoisse existentielle est notre solitude ontologique et la certitude de notre fin programmée
 -la pensée omniprésente a fait oublier le caractère indispensable au SN de l’action=tout empêchement de celle-ci génère de l’angoisse
 -les raisons de l’empêchement de l’action:
   .1.le plus souvent conflit entre les pulsions et les interdits socio culturels
   .2.le déficit informationnel sur l’avenir
   .3.à l’inverse, la surabondance informationnelle (ex des médias)
   .4.l’imagination anticipatrice (du pire bien entendu)
 -l’angoisse de la mort peut faire appel à 1.2.4 à la fois
 
LA CULTURE
 
-toutes les idéologies imposent le rôle producteur de l’homme et la culture comme soupape des dominés, pour maintenir leur force de travail et éviter leur révolte
-l’art est une fuite, dans le sens où rien ne peut objectivement permettre de le juger objectivement, à ceci prés que la fuite peut être annulée lors de la reconnaissance par la société de l’artiste par son insertion dans le système marchand
-la culture est un bric à brac de jugements de valeurs =comment pourrait il en être autrement, alors que la clef des « choix » de l’homme a été cachée dès son enfance sous son oreiller  et qu’il n’a jamais eu l’occasion de faire son berceau, sa mère s’en charge?  
> L’ENFANCE
 
 -l’influence du milieu environnant est prépondérante, dès la phase intra utérine, avec deux réactions possibles: conformisme /anticonformisme
 -la seule chose innée est la recherche de l’objet/être  gratifiant
> -la seule éducation valable serait  le relativisme = »il n’existe pas de certitudes ou alors temporaires » « nous acceptons la socio culture comme un moyen imparfait et temporaire de vivre en société, à réinventer . » avec la difficulté que sans repères l’enfant (et l’adulte souvent) font connaissance avec l’angoisse
 -attention à l’amour parental -auto admiratif à travers les enfants
                                           -auto satisfaisant à travers l’ascension des enfants plus hauts que soi
 -avant de proposer à vos enfants de faire leur bonheur, veiller à ne pas participer à leur malheur : ce qui ne sera possible que si vous mourrez précocement, occasion pour eux de vous transformer en mythe qu’ils pourront alors façonner suivant leur désir
 
 LES AUTRES
 
 -le SN vierge de l’enfant ne deviendra humain qu’au contact des autres (un enfant sauvage ne deviendra jamais humain) à tel point qu’il peut n’être plus qu’eux
 -mais les autres sont à la fois :
    .en compétition avec nous pour l’objet/être gratifiant ,d’où établissement des échelles de dominance
    .nécessaires pour former des groupes où l’on se sent plus fort=le plus basique étant la famille
 -l’intérêt pour l’espèce est  une nécessité pour le maintien de sa structure
 
 LA LIBERTÉ
 
 -elle n’existe que par l’ignorance de ce qui nous fait agir=l’inconscient
 -or celui ci est régi par des règles strictes =la sauvegarde de notre organisme
 -admettre l’absence de liberté de chacun enseigne la tolérance
 
LA MORT
 
 -l’individu ne s’appartient pas , il est constitué par la confluence des autres, ce qui explique la douleur lors d’un décès =on pleure sur la partie de l’autre en nous, de même  notre mort est la mort des autres en nous
 -le rôle de l’être humain c’est de transmettre ce qu’on lui a appris, sans le déformer, sans l’imposer non plus en formatant l’enfant, l’idéal étant  quand l’homme rajoute au message quelque chose de propre à lui
 -la vraie famille de l’homme ce sont ses idées, véhiculées de génération en génération par les SN qui se succèdent
 
 LE PLAISIR
 
 -il est lié à l’accomplissement de l’action gratifiante
 -il est recherché par tous, même les biens pensants, même le suicidé pour qui supprimer la douleur est un plaisir
 -mais l’action gratifiante est en compétition avec celle des autres (avec les 4 attitudes possibles vues plus haut), d’où les lois , la hiérarchie
 -plus le besoin à assouvir est puissant, plus ce que l’on appelle « la volonté » est forte
 
LE BONHEUR
 
 -c’est un état stable=c’est être capable de désirer, d’exprimer du plaisir à la satisfaction de ce désir, du bien être quand il est satisfait, en attendant le retour du désir pour recommencer
 -l’obstacle là encore est les échelles de dominance, avec lorsque le différentiel de gratification dominant/dominé est trop important  (pays sous développés) des explosions de violence généralisée, l’interdépendance dominants /dominés dans les pays développés générant plus de l’inhibition de l’action , la violence étant alors là ,ponctuelle, de type terroriste
 
 LE TRAVAIL
 
 -il a perdu sa valeur d’intégration à un tout (sociétal, planétaire..
 -il sert désormais à maintenir, par sa plus value, les dominances (bien entendu dans le capitalisme, mais également dans le socialisme dévoyé où la dominance est bureaucratique)
 -l’homme a classé le chaos du monde avec la science pour agir  ais ce faisant il s’est coupé de celui là , ne réalisant pas qu’il fait partie intégrante de la biosphère et qu’en lui portant atteinte il s’autodétruit ; il ne propose actuellement  comme but dans la vie que la production d’objets pour la production d’objets et la publicité pour lui donner envie de les acquérir
 -il faudrait que l’homme ait plus de temps libre pour s’interroger sur lui-même (mais les dominants n’y ont pas intérêt !!)
 -pour LABORIT réaliser que ni la liberté, ni la décision, ni la responsabilité n’existent, devrait faire disparaitre la motivation de s’élever dans la hiérarchie et l’adhésion à la production pour la production
 
 
 LE SENS DE LA VIE
 
 -les processus vivants étant programmés come ils le sont , il s’agit moins de savoir comment? par qui ? que  » à quelle action aboutissent-ils? »
 -pour LABORIT le sens de la vie  serait de mettre en commun les capacités des hommes pour augmenter le niveau d’information
 -il pense que le dernier niveau de conscience des déterminismes à atteindre « le signifié de la vie « , si tant est que cela soit possible un jour, serait la découverte du niveau de déterminisme cosmique de notre présence ici bas
 -la violence qui s’ignore ou se croit justifiée est contraire  à l’évolution de l’espèce :il faut la combattre et pardonner aux inconscients qui la génèrent
 
LA POLITIQUE
 
 -LABORIT  est  pessimiste du fait des dominances qui sont évidemment présentes
 -pour lui il faut que chaque groupe humain comprenne que,  comme une cellule dans un organisme vivant, son seul intérêt devrait être le fonctionnement harmonieux de notre grand organisme qu’est l’espèce humaine
 -que pour celà il faudrait que la gestion des ressources primaires, de l’énergie et de l’information se fasse à l’échelle planétaire , mais avec le risque qu’une dominance s’y établisse (si ce n’est pas déjà fait:grandes puissances , multinationales , industries d’armement maintenant le chaos…)
 -pour un projet de société idéale ce n’est pas l’utopie qui est dangereuse, mais le dogmatisme utilisé pour maintenir dans l’erreur une dominance
 
 LA FOI
 
 -son apparition est liée à l’angoisse existentielle
 -elle se trouve souvent être utile à deux systèmes historiques de dominance fréquemment alliés =le politique et le religieux,
 en promettant une récompense dans l’au delà, elle tempère la révolte ici bas
 -comme thérapeutique de l’angoisse elle a été remplacée par la science mais celle ci a déçu, car elle organise la vie, mais ne lui donne pas un sens
 -le signifié que nous croyons découvrir aujourd’hui dans le message du Christ est celui que nos connaissances actuelles du signifiant nous permettent de comprendre. Cependant le plus troublant, c’est que cet imaginaire incarné, qui, en conséquence, ne peut être autre chose que ce que nous sommes, puisse contenir un invariant suffisamment essentiel pour, toujours et partout, guérir l’angoisse congénitale de l’homme
 
 COMMENTAIRES  PERSONNELS
 
 Le message parait cynique, mais quand on voit que effectivement le progrès technique n’a pas effacé les horreurs des premiers temps de l’homme (guerre, torture..) on peut penser avec LABORIT qu’il y a une science à développer d’urgence =celle des comportements humains, ce à quoi s’attache la Logique Emotionnelle  pour que  l’on puisse apprendre à chaque être humain les racines de son fonctionnement , l’enseigner aux enfants , pour que tout être humain puisse ainsi acquérir une possibilité de modifier ses comportements (dans le sens d’une absence d’automatismes, de l’acquisition d’une motivation non hiérarchique,…grâce au temps libre, à l’information généralisée…)  , et puisse   consacrer son imaginaire à la recherche d’autres types d’organisations humaines à l’échelle de l’espèce .
 
Le tout est résumé dans une proposition qu’il fait dans « la nouvelle grille » :
remplacer « liberté, égalité, fraternité »  auquel vous avez compris qu’il ne croit pas !  par :
 conscience  (des déterminismes)  connaissance   (des mécanismes)   imagination   (pour la survie de notre espèce)

« Spinoza avait raison » d’Antonio Damasio

Par Jocelyne Pringard (mars 2015) PLE – 8

Joie et tristesse, le cerveau des émotions


Ce livre, en fait, c’est un peu la rencontre d’un philosophe et d’un neuroscientifique à 400 ans d’écart.


Spinoza a vécu 44 ans de 1632 à 1677. Juif portugais, exilé en Hollande, il a été banni à 24 ans pour ses idées. Il remettait en cause la religion. il était d’une famille riche, conscient d’avoir été privilégié pour l’apprentissage de la culture.


Chez Spinoza, Dieu existe : mais c’est la nature qui s’exprime à travers les créatures vivantes.


Damasio a été interpellé par Spinoza.


Il l’a lu à l’adolescence, l’a trouvé fascinant et rébarbatif (1), l’a  oublié et l’a redécouvert (2). Il avait noté une phrase un jour sur un papier, et à un moment de sa vie, après ses travaux scientifiques, il a relu cette phrase et s’est aperçu que cela avait une correspondance avec ses travaux . Cette phrase c’était :
« Le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre… et le bonheur consiste pour l’homme à vouloir conserver son être. « 
Spinoza a eu une intuition biologique de la nature de l’homme.
En effet, si Descartes dit qu’il y a le corps et l’esprit, il ne dit pas comment se passe l’interaction. Spinoza (3) cherche à surmonter ce problème des deux substances (Corps et esprit) et comment les intégrer.
Pour Spinoza, l’esprit et le corps jaillissaient parallèlement de la même substance inter-agissante et agissaient en symbiose à travers les différentes manifestations tant du corps que de l’esprit.
Spinoza comme Damasio disent que la joie et la tristesse sont des idées du corps qui s’efforce de manœuvrer pour atteindre un état de survie optimal. La joie et la tristesse sont des révélations mentales de l’état du processus vital.
Le signal émotionnel accroit l’efficacité du raisonnement et l’accélère. Nous retrouvons là des résonances avec la Logique Émotionnelle.
Damasio vérifie tout cela à travers des expériences scientifiques. Dans le livre, il y a un va et vient permanent (4) entre les « intuitions » de Spinoza et les découvertes de Damasio.
Damasio est portugais également. Il est né en 1944. Il est professeur de neurologie et parmi ses découvertes, il y a : la démonstration que les émotions sont impliquées dans la prise de décision.
Pour lui (comme pour Shakespeare cité dans le livre 5), les émotions précèdent les sentiments.
Mieux, il a réussi à le démontrer scientifiquement.
Damasio travaillait sur une malade atteinte de la maladie de Parkinson et comme souvent c’est par hasard qu’il a démontré que l’émotion précède le sentiment. Son équipe et lui faisaient des tests sur un traitement qui consistait à provoquer des réactions par des électrodes.
Sur une patiente, cela a déclenché une expression de tristesse, puis elle s’est mise à pleurer et a expliqué à quel point elle était triste.
Le praticien a arrêté l’expérience et 90 secondes plus tard, le comportement de la patiente est redevenu normal.
Ce qui est remarquable, c’est que les pensées liées à l’émotion ne venaient qu’après que l’émotion ait commencé.
Il y a aussi un chapitre consacré aux sentiments qui sont définis « comme un certain état du corps et un certain état d’esprit ».
« Les sentiments sont nos sentinelles. Ils font savoir à notre soi conscient, fugace et étroit, ce qu’il en est de l’état vécu de notre organisme ».
Le chapitre consacré aux sentiments est plus difficile à appréhender, Damasio est un chercheur.
Ce qui prouve aussi l’importance des émotions et des sentiments dans nos comportements, c’est que des patients ayant des lésions préfrontales restent capables de raisonnement, mais n’éprouvant plus d’émotion et notamment d’empathie deviennent incapables d’avoir une vie sociale normale.
Certains disent que Spinoza est le philosophe des scientifiques, C’est aussi le philosophe de la joie.
Spinoza « interpelle » suffisamment pour que Damasio ait fait ce livre et pour que Yalom ait écrit récemment ce roman passionnant « Le problème Spinoza ».

Concluons avec cette phrase de Spinoza citée par Damasio dans son livre :  » Spinoza nous dit que le bonheur est le pouvoir d’être libre vis-à-vis de la tyrannie des émotions négatives ».

Notes complémentaires :
Spinoza :  » Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier ».
Spinoza nous dit donc de combattre une émotion négative avec une émotion plus forte mais positive, apportée par le raisonnement et l’effort intellectuel. L’idée selon laquelle on ne pouvait soumettre les passions que par l’émotion induite par la raison, et non par la pure raison seule est centrale  dans sa pensée.

Shakespeare (p 34) : A la fin de Richard II, Shakespeare annonce que le processus unifié de l’affect que nous appelons indifféremment émotion ou sentiment peut se décomposer en parties.
Les émotions précèdent les sentiments. Ce qu’on retrouvent en L.E. : le cerveau reptilien.
Damasio dit que c’est parce que les émotions sont forgées à partir de réactions simples qui favorisent la survie d’un organisme.
De l’humble amibe à l’être humain, tous les organismes vivants naissent munis de procédés conçus pour résoudre automatiquement sans qu’il soit besoin de raisonner les problèmes de base que pose la vie : trouver des sources d’énergie, incorporer et transformer de l’énergie, préserver un équilibre chimique intérieur compatible avec le processus de vie, se défendre contre les agents extérieurs que sont la maladie et les blessures physiques. Le mot « homéostasie » résume à lui seul l’ensemble de ces régulations.
L’effort continuel pour atteindre un état de vie positivement régulée est une part essentielle et profonde de notre existence, c’est même selon l’intuition de Spinoza la réalité première de notre existence, à savoir l’effort incessant (conatus) de chaque étant pour persévérer dans son être.
Lutte, effort et tendances, tels sont les trois mots les plus propres à rendre compte du terme latin conatus tel qu’il est utilisé par Spinoza dans les propositions 6, 7 et 8 de la troisième partie de l’éthique.
« Chaque chose selon sa puissance d’être s’efforce de persévérer dans son être ».
« L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose ».
Les émotions proprement dites, le dégout, la peur, le bonheur, la tristesse, la sympathie et la honte, ont directement pour but la régulation de la vie en conjurant les dangers, en aidant l’organisme à tirer avantage d’une occasion favorable ou indirectement en favorisant les relations sociales.
Damasio6 dit qu’il lui semble que les réactions qui donnent lieu aux préjugés sociaux et culturels sont en partie fondées sur le déploiement automatiques d’émotions sociales que l’évolution a mis en place pour détecter la différence chez autrui, parce que la différence peut signaler un risque ou un danger.  Cette sorte de réaction remplissait des fonctions utiles dans les sociétés tribales, mais elle n’est plus adaptée et encore moins utile dans nos sociétés.
Damasio classe les émotions en trois catégories : les émotions d’arrière plan, les émotions primaires et les émotions sociales.
Les émotions constituent le moyen naturel pour le cerveau et l’esprit d’évaluer l’environnement à l’intérieur et hors de l’organisme.
La chose déclenchant l’émotion n’a pas besoin d’être présente.
Spinoza l’avait vu  » l’homme est affecté du même sentiment de joie et de tristesse par l’image d’une chose passée ou future et par l’image d’une chose présente. »

Damasio est neurobiologiste et essaye de comprendre notre fonctionnement : Il y a une notion fondamentale des neurosciences cognitives : toute fonction mentale complexe résulte de la contribution concertée de nombreuses régions cérébrales à différents niveaux du système nerveux central plutôt que du travail d’une unique région du cerveau.

il est maintenant bon de se demander à quoi servent les sentiments.
On peut être d’accord avec Spinoza dit Damasio pour dire que la joie est associée à une transition de l’organisme vers une plus grande perfection.
Les cartes liées à la tristesse sont associées à des états de déséquilibre fonctionnel. Cela peut aboutir à la maladie et à la mort.
Dans la plupart des circonstances, les cartes corporelles de tristesse reflètent l’état réel de l’organisme.
Les sentiments sont nos sentinelles. Il font savoir à notre soi conscient, fugace et étroit, ce qu’il en est de l’état vécu de notre organisme.
La joie et la tristesse sont des idées du corps qui s’efforce de manœuvrer pour atteindre un état de survie optimal. La joie et la tristesse sont des révélations mentales de l’état du processus vital.
Différentes types d’actions deviennent associés à différents types d’émotions7.
Un sentiment au ventre peut vous suggérer d’éviter un choix qui dans le passé a eu des conséquences négatives.
Le signal émotionnel n’est pas un substitut du raisonnement proprement dit. Il joue un rôle auxiliaire et accroit l’efficacité du processus de raisonnement et l’accélère.
Bien qu’elle est rarement été dominante, l’idée selon laquelle les émotions sont intrinsèquement rationnelles remonte à il y a longtemps. Aristote, Spinoza le pensaient.
L’étude des émotions sociales n’en est qu’à ses débuts. Exemple du marxisme, de la soumission/dominance.

Proposition 18 de la 4ème partie de l’éthique :  » Le fondement de la vertu est l’effort même pour conserver son être propre, et le bonheur consiste pour l’homme à pouvoir conserver son être. »
Beauté de cette citation : elle contient le fondement d’un système éthique et ce fondement est biologique. Il est le résultat d’une découverte fondée sur l’observation de la nature humaine et non sur la révélation d’un prophète.
La définition du bien et du mal est simple et élégante. les objets bons sont ceux qui suscitent de façon fiable et durable, les états de joie dont Spinoza pensent qu’ils accroissent le pouvoir et la liberté d’agir. Les objets mauvais sont ceux qui produisent le résultat contraire : leur rencontre avec un organisme sont désagréables à celui-ci.
Les bonnes actions sont celles qui, tout en faisant le bien de l’individu via ses appétits et ses émotions naturels, ne font pas de mal aux autres individus. Cette injonction est sans équivoque. Une action qui pourrait être personnellement bénéfique mais ferait du mal à autrui n’est pas bonne, parce que faire du mal à autrui nous hante toujours et fait parfois du mal à celui-là même qui a agi ainsi.
On n’insistera jamais assez sur l’importance des faits biologiques dans le système de Spinoza.
Au bout du compte, tout ce que nous pensons et faisons résulte de certaines conditions et de certains processus antérieurs qu’il se peut que nous ne puissions contrôler. Mais on peut encore répondre catégoriquement « non », aussi fermement et catégoriquement que Kant, aussi illusoire soit la liberté de ce non.

La mémoire et la conscience chez l’être humain. Ce sont ces deux dons combinés ainsi que leur richesse qui donnent lieu au drame humain et lui confère un statut tragique ici et maintenant.
La confrontation avec la mort et avec la souffrance dérange l’état homéostatique.
Spinoza voit dans la bible un réservoir de connaissances utiles sur la conduite humaine et l’organisation civile.
La seule chose qu’on doit redouter c’est notre comportement. Quand on ne parvient pas à être bienveillant avec les autres, on se punit soi-même, ici et maintenant et on s’empêche d’atteindre la paix intérieure et le bonheur, ici et maintenant.

« Et Nietzsche a pleuré… » de Irvin Yalom

Par Claude Guichet

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Fiche de Lecture mars 2010

Ce roman relate l’histoire d’une  rencontre qui aurait pu avoir lieu en 1882 entre le philosophe Friedrich Nietzsche affecté de nombreux maux (tête, estomac, cécité …) et le Dr Joseph Breuer, médecin praticien viennois connu et reconnu. Irvin Yalom s’est appuyé en effet sur une lettre retrouvée dans la correspondance de Nietzsche où la rencontre entre les deux hommes a été réellement  envisagée par ses amis.

Cette rencontre imaginée par Irvin Yalom se déroule entre Octobre et Décembre 1882 à Vienne. Elle explore les relations entre les deux personnages et leur entourage à travers une succession d’entretiens, de lettres et d’évènements qui illustrent de manière vivante et romanesque les débuts de la psychothérapie, de la psychanalyse et pour ce qui concerne notre propos la relation Ecoutant-Ecouté et la bio-logique des émotions.

Notre grille de lecture étant la  Logique Emotionnelle, je vous dirai ce qui a fait écho pour moi et ce que cet exercice  m’a fait découvrir, ressentir.

Au préalable je vais vous resituer le texte dans le contexte avec une présentation succincte des deux principaux protagonistes et la trame de cette rencontre telle qu’imaginée par Irvin Yalom.

I – Les deux Personnages principaux

1-1 Le Docteur Joseph Breuer (1842 – 1925) : a donc 40 ans au moment où se situe l’histoire en 1882.

– juif non pratiquant, marié à une « belle » femme juive avec qui il a 3 enfants.

– médecin et praticien reconnu (aurait pu devenir Pdt de la Faculté de Médecine de Vienne). Il voit de plus en plus de gens souffrant de troubles psychiques.

– a suivi et traité les troubles d’hystérie  d’une belle jeune femme (21 ans) dénommée Bertha.

– a des relations amicales avec le jeune médecin chercheur Sigmund Freud alors âgé de 26 ans et avec qui il publiera « Les Etudes sur l’Hystérie » en 1895. 

1-2 Le Professeur Friedrich Nietzsche (1844-1900)

– ex-professeur de philologie de l’Université de Bâle.

– écrivain et philosophe pas connu à cette époque, a publié « Humain trop Humain » en 1878 et le « Le gai Savoir » début 1882. Il est en train de rédiger « Ainsi parlait Zarathoustra » qui sera publié en 1883.

– a de nombreux maux (tête, estomac, vue…) et  ses fréquentes migraines l’ont conduit à arrêter l’enseignement. Il passe son temps à voyager pour trouver le climat qui lui convient dans le sud de l’Europe (n’aime pas le froid)

-sort d’une relation courte et tumultueuse avec une jeune femme « intelligente, d’une grande beauté » Lou Salomé, liée également à un autre philosophe Paul Rée.

Le nœud de l’histoire commune aux deux personnages est qu’ils sont « pris » dans une relation triangulaire ou« pythagoricienne » selon les mots de Nietzsche dans le roman :

Breuer finit par tomber amoureux de sa patiente Bertha et devient jaloux du jeune médecin qui a pris le relais du suivi de Bertha et qui tombe lui aussi amoureux de Bertha . Suite à la révélation « fantasmée » de Bertha comme quoi elle serait enceinte du Dr Breuer, la femme du Dr Breuer exige qu’il arrête immédiatement de suivre le cas de Bertha.

La rencontre de Nietzsche avec Lou Salomé à Rome remonte à avril 1882. Avec Paul Rée philosophe et ami de Nietzsche, ils parlent de former à 3 une micro-communauté intellectuelle. Nietzsche fait une proposition de mariage à Lou Salomé un mois plus tard, celle-ci refuse et c’est le début du désamour …

II – La Fiction de la Rencontre Nietzsche – Breuer.

Lou Salomé rencontre le Dr Breuer pour le convaincre de recevoir Nietzsche afin de l’observer, le soigner et l’empêcher de mettre fin à ses jours comme il lui écrit dans ses lettres.

Entretiens entre le Dr Breuer et Nietzsche et la relation Thérapeute/ Patient ou Ecoutant/ Ecouté s’inverse progressivement.

1/ au début du roman, Nietzsche refuse catégoriquement de se faire hospitaliser et de subir la relation de pouvoir du thérapeute.

2/ stratagème de Breuer :

Breuer soignera le corps de Nietzsche et Nietzsche soignera les troubles obsessionnels de Breuer / Bertha.

Breuer pense gagner ainsi la confiance de Nietzsche et le conduire à parler de sa relation avec Lou Salomé et de ses tentations suicidaires.

3/Progressivement Breuer ressent la profondeur de son désarroi, l’accepte et s’en remet à Nietzsche pour l’aider à en sortir

III – La lecture de ce livre et l’écho avec la LE, la relation Ecoutant/ Ecouté, l’écoute résonante.

Breuer a découvert une méthode qui semble guérir les troubles de Bertha en  remontant aux causes premières des symptômes. En les retrouvant et en les exprimant les symptômes disparaissent …il s’agit « d’une cure par la parole » dénommée dans le livre « le ramonage ». Par exemple Bertha fait de l’hydrophobie, elle ne boit pas une goutte d’eau et le fait d’évoquer le souvenir d’un chien qui vient laper l’eau dans son écuelle, la phobie disparaît, au moins momentanément !

Nietzsche qui entend parler de cette méthode avec Breuer va l’utiliser à son tour pour explorer les troubles obsessionnels de Breuer.

Ce qui marche avec cette méthode de « cure par la parole » :

– quand Nietzsche reprend un mot de Breuer avec la forme interrogative (Ecoute Résonante)  pour relancer l’écouté et le laisser développer …

– la philosophie de Nietzsche résonne avec la LE : la pensée procède du corps, ce n’est pas l’intelligence qui pense mais le corps ! Rupture avec l’idéalisme, l’ascétisme et le spiritualisme chrétien où seule l’idée est considérée comme pure. La conscience, l’esprit pensent sans relation avec une matérialité, avec le cerveau. Nietzsche veut le consentement au corps, l’amour de la Vie …

– le corps = Volonté de puissance : puissance d’exister par-delà le bien et le mal comme la plante ou l’arbre est attiré irrésistiblement par la lumière contourne /franchit  les obstacles pierre, roche, bitume …

– en LE : la finalité de l’Etre c’est d’Etre !

Ce qui ne marche pas :

– quand Nietzsche développe, explique ses concepts philosophiques : se reconnaître comme simplement humain, s’accepter tel que l’on est ou encore « l’éternel retour » … Breuer entend, comprend  le discours de Nietzsche mais cela ne l’aide pas, trop théorique, trop loin de ses Sensations/Perceptions à lui, ça ne lui parle pas, ça n’empêche pas ses troubles obsessionnels

 Ce que j’ai intégré en lisant ce livre et qui illustre une des propositions du Ch 7 Le Funambule dans « Mon Corps le sait »  de Catherine Aimelet-Périssol et Sylvie Alexandre.

* la personne est émue quand elle est partagée/ coupée dans la polarité de ses besoins

Sécurité : Breuer place le curseur du côté « Sureté », assurer les besoins de sa famille et de ses enfants, lui-même enfant « avenir tout tracé », «  enfant infiniment prometteur », se réfugie dans le travail quand le reste ne va pas bien, va fleurir régulièrement la tombe de ses parents  .Il s’accorde peu de Liberté par rapport à  son avenir déjà tracé …

Identité : Breuer fait partie de la bourgeoisie juive médicale de Vienne qu’il critique « immuable », «pétri de conformisme » mais de laquelle il ne se démarque pas ostensiblement, se retrouve dans les mêmes cafés pour discuter, se détendre. Il porte les mêmes « habits noirs de médecin viennois », «sérieux »  et « distant »

Réalité d’Etre : plus du côté Harmonie avec sa femme, sa famille, ses amis, il évite les sujets et discussions trop personnelles .Il ne se confie pas même avec Nietzsche car  il y a cette interrogation est -ce que ce que je lui dis va le choquer ? 

Il est donc coupé dans la Polarité de ses Besoins côté  Liberté (les couleurs, la spontanéité…), Différence (se battre comme un guerrier, il refuse de la compétition avec les autres hommes par exemple avec Bertha il sait que son son statut de Médecin et sa connaissance des ressorts  de Bertha font que aucun autre homme ne peut rivaliser avec lui pour Bertha), Initiatives (n’a rien fait pour devenir Pdt de la Faculté de Médecine).

Bertha est le miroir de ses manques et incarne à ses yeux ou lui renvoie l’image de la Liberté, la Différence et les Initiatives …

Face à cette Passion obsessionnelle pour Bertha que Breuer confie et explore « par la parole » avec Nietzsche, Irvin Yalom retrace en filigrane la relation passionnelle inverse dans les polarités et décrite comme « haineuse » que Nietzsche entretient avec Lou Salomé à travers ce qu’en dit Lou Salomé à Breuer et les lettres que Nietzsche envoie à Lou Salomé. 

En effet le curseur des polarités chez Nietzsche est du côté de la Liberté (retraite qui lui permet voyages et itinérance), de la Différence (la solitude ne lui pèse pas, il ne recherche pas la compagnie…) et des Initiatives personnelles (la création, l’écriture de ses livres est son œuvre et sa Vie, il rédige à cette époque son  œuvre majeure « Ainsi parlait Zarathoustra »).

Lou Salomé lui a fait percevoir ou révélé cette part qui lui manque (Sureté, Connivence intellectuelle forte …) et à laquelle il ne semble pouvoir accéder seul !

Conclusion : ce que ce livre m’a appris, ce qu’il a fait résonner chez moi …

J’ai goûté avec cet exercice la part de hasard, de tâtonnements dans la connaissance, la découverte de soi à soi, pour soi.

1/ être ouvert, faire le vide, accepter de ne pas savoir ou si peu par rapport à tout ce qui reste à connaître.

Et je pense au mouvement de l’algue ballottée par la mer, bougeant en surface au gré des mouvements des vagues ou encore à un autre mot « voir c’est recevoir passivement ». Accueillir l’événement, l’accepter tel qu’il est, ne pas vouloir le retenir, se l’approprier…  faisant écho à  une formule de Arnaud Desjardins «Intérieurement Activement Passif ».

2/ laisser résonner  en Soi, sentir, se laisser toucher et être présent, ancré, enraciné face à l’événement  … Et là je pense au  « Bambou » droit comme une antenne qui capte les ondes et les transmet à l’écran du téléviseur qui reçoit les informations, les images mais sans réagir … ou encore cette autre formule de Arnaud Desjardins « Extérieurement Passivement Actif »

Et c’est bien de ce dialogue Corps/Esprit que naît le mouvement fluide, l’idée juste  pour Soi, faite d’intuition, d’élan ou d’instinct.

Cette distance, ce recul par rapport au livre de Irvin Yalom et la résonance qu’il a suscité, s’est manifestée par hasard avec l’écoute de l’opéra « Carmen ».C’est un de mes opéras préférés que j’essaie de faire découvrir à mes garçons .En réécoutant le CD dans la voiture la semaine précédant le stage LE de mars, j’ai saisi tout à coup que le nœud de l’histoire de l’Opéra de Carmen avait aussi quelque chose à voir avec cette relation « pythagoricienne » ou triangulaire ( Carmen la Zingara  / Don José le soldat / Escamillo le Torréador) et que l’intensité de l’émotion ressentie , la passion vécue jusqu’au drame, renvoie aussi à cette coupure dans les polarités des besoins telle que le dit la Logique Émotionnelle   :

Carmen : La Liberté  (ce mot revient comme un leitmotiv dans les différents airs), la Différence, les Initiatives (les amours de Carmen ne durent pas plus de 6 mois)

Don José : le soldat loyal, fidèle, qui répond au son du clairon, appartient à un régiment et dont la première qualité attendue d’un brigadier est l’obéissance …

Et Carmen va chambouler complètement ses repères et le conduire au drame, à la tragédie !

Et là j’ai compris, j’ai vu en entendant cet Opéra ce qui me touchait dans cette musique, ses pulsations, son rythme, le souffle, le timbre des voix, les sons et les images des paroles, le tourbillon, le vertige de l’émotion quand l’individu est coupé, partagé. La LE  trouvait là, à cet instant, une application évidente que je sentais et offrait une lecture inattendue de  ces relations pythagoriciennes découvertes l’une  à travers la lecture du livre de Yalom et l’autre avec l’Opéra de Carmen. La Logique Émotionnelle prenait un tour plus passionnel, entier, immédiat, instinctif touchant à ce qu’il y a de plus humain, de plus profondément  humain qui pouvait conduire à des comportements diamétralement opposés :

–  la joie, l’enthousiasme (traduction du mot grec « folie divine ») quand les polarités sont unifiées

–  la folie humaine quand les polarités sont irrémédiablement coupées chez l’individu avec son lot de névroses /psychoses plus ou moins  morbides/mortifères pouvant conduire jusqu’à … la lutte à l’arme blanche entre les deux rivaux  et la fin tragique, le désespoir de Don José et la mort de Carmen.

Et de revenir à ma mémoire ce symbole du « bivium pythagoricien » y découvert par hasard  il y a trois ans, sur fond de tapisseries de l’Apocalypse du Château d’Angers en même temps que d’autres symboles et événements  dont la synchronicité m’était apparue de façon tout à fait inattendue .Et le sens donné à ce symbole y dans une brochure «  le carrefour de la vie , symbole du choix entre vie et mort , vertu et vice » .

Et je n’étais pas arrivé au bout de mes associations et découvertes : j’avais entendu en effet à une émission de radio du dimanche matin « Maison d’Etudes » avec comme invité Marc-Alain Ouaknin qui expliquait que le y  renvoie dans l’alphabet hébreu à « AYN » qui désigne l’œil,la source , la lumière avec deux sens ou deux mouvements distincts :

– la vision globale, large et intuitive « je vois et je comprends » (est  dit « sage » celui qui voit l’avenir)

–  et  « je veille », je suis vigilant, l’attention, le regard  sont plus précis.

Dans le livre de Marc-Alain Ouaknin « Les Mystères de l’Alphabet », il apparaît que ce symbole pythagoricien de la tapisserie d’Angers ressemble bien à la forme graphique classique (écriture carrée) du mot hébraïque « AYN »  ou « OYN » qui a donné la lettre O de l’alphabet hébreu (et non pas la lettre de l’alphabet Y comme je vous l’ai dit dans mon exposé). Il est précisé en outre que ce « AYN » énonce tout ce qui est de l’ordre du visible, du Voir, du regard, de l’apparition. Mais qui dit apparaître dit aussi cacher, recouvrir. Ainsi le « AYIN »est le passage entre l’intérieur et l’extérieur, entre les profondeurs cachées et ténébreuses de la Terre et la clarté du monde solaire .Le « AYIN » c’est la source (le jaillissement) le point de passage de l’eau souterraine à l’eau qui coule à la lumière .C’est le point où l’être se dévoile mais en même temps se voile …Avec le « AYIN » le monde devient pluriel, multiple, découvert, secret.

Et d’entendre encore dans cette même émission radio que la lettre « O » est suivie par la lettre « P » dont la forme originaire représente la bouche et d’en déduire « Si on voit, on peut parler … » …et de lire toujours chez Ouaknin que dans « AYIN » il y a une seconde dialectique celle du voir et de l’entendre. « Chemà », « écoute » s’écrit « cham-ayin » « là-bas l’oeil » .Entendre est une façon de voir plus loin, au-delà de la simple apparition qui se fait dans la proximité.

Et là, retour direct au Ch 7 Le Funambule page 140 de « Mon corps le sait », « VOIR ou REGARDER, ENTENDRE ou ECOUTER. »

« L’émotion vient fixer la vision ou l’ouïe sur l’une ou l’autre de ces facultés, comme si les possibilités de mobiliser l’ensemble étaient perturbées, bloquées. Ce clivage en soi prive de l’information globale. Pas étonnant que la personne prenne pour elle ou contre elle ce qu’elle voit ou ce qu’elle entend. ».    

« Sous le signe du lien » de Boris Cyrulnik

Par Pierre MASSOT

« SOUS LE SIGNE DU LIEN »

de Boris Cyrulnik

Fiche de lecture de Pierre MASSOT

PROMO 3

Dans ce livre où l’on observe des goélands, des chimpanzés, des tiques, des canetons, des martins-pêcheurs, des chiens, des oies cendrées, des moustiques, des épinoches, des choucas, des chats, des hommes et des femmes, l’introduction donne le ton :

Les observations qui vont suivre dans ce livre sont fausses. Mais comme elles ont été faites par des observateurs qui savent à quel point l’observation est une création, elles restent « révisionnables » : ce qu’on a vu reste à revoir.

Ceux qui disent : « C’est évident, il n’y a qu’à voir » vivent dans un monde impressionniste. Ils croient observer le monde, alors qu’ils n’observent que l’impression que le monde leur fait.

Cela me semble un premier lien avec notre préoccupation sur les perceptions et les sensations.

L’ouvrage qui se définit comme une histoire naturelle de l’attachement commence par la vie intra-utérine.

Un chercheur ne possédait qu’un vieux disque dans l’environnement familial de sa femme enceinte : c’était Pierre et le loup. La séquence du basson est célèbre à cause de son intensité et de l’abondance des fréquences basses. Il se trouve qu’elles pénètrent très bien dans l’univers sonore de l’utérus.

Le bébé gambadait dans son univers utérin quand le chercheur passait Pierre et le loup. Après la naissance, il s’agitait, augmentait ses succions et tournait sa tête vers cette musique familière, alors que Bach ou Brassens le laissaient indifférent.

Des bébés japonais dont la vie intra-utérine s’est déroulée près de l’aéroport d’Osaka, s’apaisent très facilement dans un univers sonores d’avions, alors qu’ils deviennent insomniaques dans un univers silencieux.

Le bébé cesse d’être un produit biologique ou un bâton de vieillesse. Il devient une petite personne très soumise à nos fantasmes. Ce qui ne rend pas sa vie plus facile.

L’histoire se poursuit par la naissance du sens : toute information est inscrite dans le biologique, mais dès qu’elle est perçue, cette stimulation prend sens parce qu’elle est interprétée. L’histoire du percepteur donne du sens à cette perception.

Les nouveau-nés, sans aucune stimulation extérieure, sourient de tout leur visage, pendant leur sommeil paradoxal.

Nous avons observé ce qui se passe entre le bébé émetteur de ce premier sourire paradoxal et l’adulte maternant récepteur de cet indice comportemental.

En vingt ans de pratique, jamais nous n’avons entendu une mère dire en percevant ce sourire : « Tiens, le neuropeptide qui provoque le sommeil paradoxal vient de provoquer la première contraction des commissures labiales de Nathalie. » Jamais !

En revanche, lorsque les mères perçoivent le premier sourire du bébé, elles interprètent toujours ce premier sourire et disent : « Il me reconnaît déjà », ou bien, « Il sourit grâce à moi », etc. (Elles ne savent pas que c’est le neuropeptide qui a fait le coup).

Mais, ce disant, elles approchent leur corps du bébé souriant, elles l’appellent et créent autour du bébé une atmosphère d’intense sensorialité composée d’odeurs, de sonorités proches, de contacts et de chaleur.

L’interprétation qu’elles donnent du fait (le sourire biochimique) crée autour du bébé une sensorialité chaude.

La manière dont la mère interprète ce sourire vient de sa propre histoire et du sens qu’elle attribue à ce fait. La preuve c’est que chaque mère donne sa propre interprétation. Nous avons entendu : « Pauvre enfant … il sourit … il ne sait pas ce qui l’attend … Je n’aurais pas dû le mettre au monde ». 30 à 40 % des jeunes mères donnent cette interprétation anxieuse. Cette représentation enracine une attitude corporelle radicalement différente : ce disant, la jeune mère se raidit et regarde l’enfant avec angoisse. Ce faisant elle éloigne de son bébé les informations sensorielles émises par son corps. Cette interprétation dépressive, venue de l’inconscient maternel, crée autour du bébé un monde sensoriel froid.

Le sens que la mère a donné au sourire a modifié les sens qui médiatisent et tissent le lien de l’attachement. L’histoire naturelle du sourire, dès sa première production, a mélangé le sens et la vie, l’interprétation et la biologie.

Le livre poursuit la biologie de notre histoire, la mise au monde du père, la sexualisation, la naissance du couple, la naissance de l’attachement puis l’apparition du détachement.

De part en part, on y voit mise en évidence l’importance des représentations sur les comportements. On y voit aussi l’importance de la culture et de ses interactions jusque dans le biologique.

Par exemple, à propos de la sexualisation :

La culture, c’est-à-dire les enseignants, les voisins les médias et bien d’autres, participe au façonnement du comportement sexué. Les moniteurs de sport, hommes ou femmes, parlent en regardant beaucoup plus les garçons que les filles. D’une manière générale, les adultes s’adressent plus aux garçons en groupe … et aux filles dans l’intimité.

La communication sensorielle devient très différente selon le fantasme de l’adulte.

Un petit film projeté devant des étudiants montrait un bébé de neuf mois en pleurs. « Pourquoi ce garçon pleure-t-il ? » demandait l’observateur. Les étudiants répondaient : « Parce qu’il est en colère ! »

Un autre groupe, auquel on disait : « Pourquoi cette petite fille pleure-t-elle ? »  répondait : « Parce qu’elle a peur ». La même image avait provoqué une interprétation très différente selon la représentation du stéréotype sexuel, induite par la question.

Cette idée provoquait des réactions comportementales très différentes : les adultes disaient en s’adressant aux bébés-garçons : « Calme-toi un peu, mauvais caractère. Ah, ces garçons, ils veulent être servis tout de suite » alors qu’ils disaient aux bébés-filles : « Calme-toi ma cocotte, ce n’est rien, n’aie pas peur … »

Cette action fantasmatique pourrait expliquer pourquoi les bébés-garçons développent plus d’activités autocentrées et agressives que les bébés-filles : l’action fantasmatique des adultes ne les tranquillise pas !

La notion d’empreinte, longuement abordée, et qui me semble en ligne directe avec le fonctionnement reptilien, révèle une réflexion sur la peur qui nous intéresse :

Cette série d’observations fait apparaître l’idée que la peur et la perte dépendent du sujet, bien plus que de l’objet. Un « raisonnement à l’évidence » dirait que le sujet a peur parce que cet objet est effrayant, ou bien que le sujet souffre parce qu’il a perdu l’objet de son amour.

Un raisonnement éthologique dit au contraire : le sujet a peur parce qu’il a incorporé une catégorie d’objet à laquelle il s’est familiarisé et que l’objet présent lui est étranger.

Nous sommes donc autorisés à dire que les sentiments de peur, d’amour ou de perte résultent de modifications intérieures au sujet. Ce n’est plus l’objet qui fait peur au sujet, comme dans une réflexion issue du modèle mécanique où une cause produit un effet. C’est le sujet qui ressent de la peur pour cet objet qu’il catégorise parmi les objets étrangers parce que, des années auparavant, il a incorporé l’empreinte d’une autre catégorie d’objets auxquels il s’est familiarisé.

Le sujet devient créatif dans la peur, dans l’amour ou dans la perte et pas réactif comme on le croit habituellement : il est devenu craintif parce qu’un chien lui a fait peur … Il est devenu délinquant parce qu’il a manqué d’affection …

Mais cette modification endogène résulte d’une autre conception de la biologie : on ne peut plus penser la biologie en tant que métabolisme à l’intérieur d’un corps isolé du monde. Il s’agit maintenant de métabolismes où l’intérieur incorpore les pressions extérieures pour créer une aptitude.

Cela me semble en phase avec ce que Catherine et Sylvie écrivent dans leur livre :

On pense habituellement que c’est de l’inconnu dont on a peur. Cela est un contresens puisque la peur est fondée sur une mémoire d’un passé douloureux à éviter et sur la conscience d’un avenir qui nous mène à la mort. La peur au présent est donc l’expression de ce choc de savoirs qui nous demande de protéger notre structure. Ainsi donc, nous projetons inévitablement du connu dans un environnement et un avenir à risque.

L’idée débouche aisément sur la notion de croyance, abordée par Cyrulnik :

Les croyances qui aujourd’hui organisent le plus intensément nos destins peuvent se classer en croyances internes et croyances externes.

Les hommes qui croient que leur destin est gouverné par des forces extérieures se retrouvent en bas de l’échelle sociale où ils occupent des postes soumis à l’opinion d’autres hommes. Alors que ceux qui croient en un déterminisme interne, un choix intime de leurs projets d’existence se retrouvent dans des postes à responsabilité, dans des histoires de vie plus libres, moins soumises aux contraintes sociales.

Face aux cris d’un bébé, les mères à « croyance externe » manifestaient un long temps de latence avant de toucher le bébé (caresser, tapoter, prendre aux bras, donner le biberon, etc.). Ce faisant, elles produisaient très peu de paroles à l’adresse du bébé.

Alors que la population de mères à « croyance interne » (celles qui croyaient au déterminisme intime de leur destin) répondaient beaucoup plus vite aux cris du bébé, le touchaient beaucoup plus et surtout produisaient beaucoup plus de paroles.

Notre manière de penser modèle notre manière d’agir et modifie le monde perceptuel du bébé : un bébé qui vit dans un milieu où l’on croit aux déterminismes externes se développe dans un environnement sensoriel froid, à faible rescousse comportementale, à faibles interactions parolières.

Alors qu’un bébé né dans un milieu où l’on croit à un déterminisme interne, où l’on pense que les décisions peuvent gouverner nos vies, où l’on croit à la liberté, se développe dans un monde sensoriel chaud, où la proximité des contacts, des stimulations auditives, olfactives et tactiles va épanouir ses comportements et ses métabolismes.

Voilà peut-être de quoi nous faire réfléchir sur les sources de notre difficile équilibre sécurité/liberté, appartenance/différence et désir-harmonie/initiative-solitaire.

La notion d’empreinte livre aussi une lecture du syndrome de Stockholm (schéma paradoxal de comportement lors d’une prise d’otages) :

La sensation de l’imminence de la mort provoque une sidération émotive totale. Mais en quelques secondes, s’organise une phase stable où l’otage découvre son dominant tout-puissant. Commence alors l’interaction des deux personnalités. Il ne faut pas que le ravisseur soit brutal ou incohérent ; il lui suffit d’être décidé et rassurant. Il doit donner le code de survie : « Si vous faites ça, il ne vous arrivera rien ». Le dominé, dont la conscience est entièrement captivée par cette présence, ressent alors une impression forte et rassurante.

L’hyper-vigilance attentive du dominé crée les conditions les meilleures pour la réceptivité d’un évènement. Le dominant prend la fonction tranquillisante et impressionnante qui caractérise l’objet d’empreinte.

… Cette série de données me permet d’illustrer une idée : une émotion intense peut créer un moment de grande réceptivité à un objet d’empreinte. Le récepteur et le marqueur peuvent se rencontrer et tisser ensemble un lien affectif.

Les amoureux, lors de leur coup de foudre, les mystiques lors de leur révélation, et les foules, lors de leurs cérémonies extatiques, ne nous disent pas autre chose.

En de nombreux passages de son livre, Cyrulnik rappelle à quel point l’observation n’est pas une perception neutre, qu’il s’agit d’un acte de création qui parle beaucoup plus de l’inconscient de l’observateur que du sujet observé.

Une illustration frappante en est fournie avec le cas d’un jeune homme de seize ans, qui apparut  en 1828 au 4ème escadron du régiment de chevau-légers de Nuremberg, dont la posture était tellement maladroite qu’il ne savait pas marcher et qui ne savait pas non plus parler :

Le capitaine auprès duquel on le conduisit d’abord fut le premier observateur, militaire donc. Il écrit : « On simula des passes d’armes et des estocades à l’aide d’un sabre nu pour contrôler ses réactions. Il resta impassible. On déchargea vers lui un pistolet ou quelques autres armes à feu. Il ne sembla pas non plus soupçonner le moins du monde qu’on puisse lui vouloir le moindre tort ».

Plus tard, le docteur Osterhausen rédigea un rapport dans le langage médical de son époque, caractérisé par l’impérialisme anatomique : « … le tendon de la rotule est divisé et les deux tendons des muscles vastes, interne et externe, longent séparément la jambe de part et d’autre du tibia pour s’attacher … »

Alors le professeur Daumer, connu pour sa bienveillance et son « cœur humain » fut appelé à la rescousse. On le chargea de l’instruction de l’infortuné jeune homme. Le professeur dressa une riche table, avec des viandes et beaucoup de bière, puis força le jeune homme à tout avaler. Ce dernier s’endormit aussitôt, repu et saoulé. Le bon professeur nota alors «  … sur cette brute animale, un bien curieux effet de la viande ».

 L’une des conclusions de l’ouvrage ne dit pas autre chose :

Il y a longtemps que je n’avais pas fait rire avec le mot psychologie. J’ai remarqué que dans certains milieux, ce mot possède une grande vertu hilarante. Je l’ai donc prononcé dans un service de néo-natalogie avec le succès habituel, mais non espéré.

Certains ont ri, et m’ont expliqué qu’un prématuré de six mois était plus proche du biologique que du psychologique. Il était sous-thalamique, autant dire sans cerveau, sans mémoire, sans parole. Un produit biologique, on vous dit.

Alors j’ai compris pourquoi dans certains hôpitaux les nouveau-nés sont enveloppés dans une feuille d’aluminium, comme le jambon de ma charcutière. On n’enveloppe pas une personne dans une feuille d’argent, on l’habille avec les vêtements de sa culture. C’est évident.

Jusqu’au jour où nous avons enregistré les cris des prématurés et les avons portés à l’analyseur de fréquence du laboratoire. L’ordinateur nous a rendu une feuille de papier argenté (elle aussi) sur laquelle il avait transformé le cri en image montagneuse : les basses fréquences à gauche, les hautes fréquences à droite.

En établissant une corrélation entre la structure des cris et les variations de l’environnement nous avons rendu observable l’évènement suivant : toute variation de l’environnement augmente la composante aiguë des cris. Il suffit de changer le tissu de la tête de lit ou de faire approcher un médecin réanimateur pour que l’ordinateur transforme le cri du bébé en un dessin plein de pics aigus.

Les prématurés réagissent vivement à toute variation de l’environnement. Ce qui implique qu’ils y sont très sensibles et qu’ils possèdent une mémoire à court terme qui leur permet de reconnaître celui qui régulièrement leur pique une aiguille dans l’artère fémorale.

L’évidence n’est pas évidente ! Nous avons des yeux pour voir ce que nous pensons.

L’évidence est une perception sélective, organisée comme une représentation.

D’où la nécessité du travail d’observation pour déjouer le piège que nous construisons pour nous y enfermer.

A la fin de son ouvrage, Cyrulnik se demande pourquoi conclure. Ce pourrait être au moyen d’une phrase définitive qui permettrait de clore dix années de recherches. Il faudrait trouver l’interrogation merveilleuse qui permettrait de souligner l’importance de l’attachement, et sa fragilité.

Cyrulnik bute pour conclure parce que les conclusions ne sont jamais concluantes, jamais closes. C’est pourquoi il termine en disant :

Je pense qu’avant de lire ce livre, vous aviez les idées claires. J’espère maintenant qu’elles sont confuses, car il faut douter, croyez-moi !

Catherine et Sylvie n’écrivent-elles pas :

Face à l’évènement, nous filtrons surtout les informations auxquelles nous savons pouvoir répondre et évitons les autres. Il y a échange d’informations entre nos perceptions et sensations internes, suivi d’un choix automatique à ne traiter que les informations garantes d’adaptations possibles, car mémorisées, mais aussi évitement des informations intraitables car ne correspondant pas à des repères connus.

Que cela nous aide à prendre de la distance vis-à-vis de nos certitudes !

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