Décrypter l’intelligence vivante de l’émotion

Je ne sais pas comment réagir quand quelqu’un pleure devant moi

Par Claire Sejournet

© iStock

Soudain, la personne en face de nous éclate en sanglot. Que faire ? Le discours ambiant, qui valorise l’empathie, nous presse de consoler la personne en larmes. Mais la réalité est beaucoup plus complexe. Le Dr Catherine Aimelet-Perissol nous explique ce qui se joue lorsque quelqu’un pleure devant nous… et pourquoi il ne faut pas culpabiliser si on est déstabilisé.

Pourquoi peut-on se sentir mal à l’aise lorsque quelqu’un pleure devant nous ?

Nous sommes par définition des êtres doués de sensibilité. Ce qui se déroule autour de nous entre en résonnance à l’intérieur de nous. Lorsque quelqu’un rit, stresse, panique… cela a toujours un écho en nous, même lorsqu’on a l’impression de ne pas être touché. Si nous sommes troublés en voyant quelqu’un pleurer, c’est que nous sommes éprouvés, déstabilisés, et que nous avons du mal à gérer notre propre émotion.

Pourtant, c’est l’autre qui pleure, pas nous ?

Les larmes témoignent de la douleur que vit la personne. Elle est manifestement choquée, troublée, bouleversée… Cependant, nous ne sommes pas des éponges à émotions. Nous ne faisons pas nôtre sa détresse, nous avons notre propre émotion par rapport à ses larmes.

Que révèle le fait de ne pas savoir comment réagir ?

Cela en dit beaucoup sur nous-même, sur notre rapport à nos propres émotions, sur notre humanité. Beaucoup de gens se détournent quand ils voient quelqu’un pleurer : ils cherchent à éviter d’entrer en résonnance avec sa détresse, parce qu’il leur est difficile de s’accorder avec eux-mêmes. En réalité, il y a toujours une réaction face à la détresse d’autrui. Sauf que ce peut être une réaction d’évitement, ce qui n’est pas forcément la réaction que la personne en pleurs attend.

Toutes les personnes en larmes attendent-elles d’être consolées ?

Pas du tout ! Pour certaines, un geste de réconfort est d’un grand secours, pour d’autres, c’est insupportable. Certaines vont être reconnaissantes que l’on s’éloigne, d’autres apprécieront une présence silencieuse. Consoler est une réaction possible, mais ce n’est pas la seule.

Vous voulez dire que l’on n’est pas obligé de consoler quelqu’un qui pleure ?

Ni d’un côté, ni de l’autre, il ne faut se forcer à consoler ou à être consolé. Un geste de réconfort est contre-productif s’il n’est pas sincère. Personnellement, je suis arrivée à la conclusion que le plus simple est de demander à la personne qui pleure ce dont elle a besoin. Je pars du principe qu’elle est suffisamment adulte pour répondre à la question : « qu’est-ce qui te ferait du bien ? ». Si elle me répond « rien », je reste simplement là ; ma présence est suffisante, elle implique que je reconnais son chagrin. Si elle souhaite que je la prenne dans les bras, je le fais.

Il est donc possible de fuir poliment ?

Si on a envie de fuir lorsque l’on voit quelqu’un pleurer, c’est qu’on veut s’extraire du face-à-face avec les larmes qui nous met mal à l’aise. Dire « je vais te chercher un mouchoir », ou « je vais faire un café, tu en veux ? » permet de bouger, de se mettre en action. Si la personne nous répond qu’elle a plutôt besoin d’un câlin, ce n’est pas la même chose que d’avoir spontanément ouvert les bras : on est capable d’avoir un geste de réconfort s’il est demandé.

Malgré tout ce que l’on vient de dire, il arrive que l’on culpabilise d’être resté en retrait face aux larmes d’autrui. Doit-on s’en vouloir pour ce comportement ?

Non, car rester de marbre, ne pas montrer que l’on est ébranlé, fuir sont autant de façons de se protéger. Cette réaction de retrait parle de nous, de notre propre histoire. Il faut avoir le courage de reconnaître que ce que l’on fait a du sens pour nous. C’est essentiel de s’accepter comme nous sommes, de se réconcilier avec notre propre attitude dans une situation donnée, car cela préserve de la culpabilité. Mais ce n’est pas une mince affaire !

Est-ce que le lien avec la personne qui pleure peut jouer sur notre réaction ?

Au niveau de la résonnance, ça ne joue pas beaucoup. Les larmes ne nous laissent jamais indifférent, parce qu’elles sont toujours la manifestation d’une douleur. Par contre, en fonction de notre lien avec la personne en pleurs, il sera plus ou moins facile de s’accorder avec notre réaction, quelle qu’elle soit. Il faut bien voir que nous sommes des êtres de situation : de multiples facteurs influencent notre comportement. Selon que l’on est fatigué ou reposé, stressé, pressé, inquiet, heureux… on n’aura pas forcément la même réaction face aux larmes de l’autre.

Finalement, ce que vous dites, c’est que les grands discours sur l’empathie, ça marche en théorie seulement…

Oui, l’empathie, c’est bien beau dans les livres, mais dans la réalité, c’est notre corps qui ressent et qui parle. Intuitivement, on se dit « oh, il faudrait que je sois plus empathique, que je fasse ci ou ça » et puis on réalise qu’on fait totalement autre chose. Ou à l’inverse, on pense à ce que l’on pourrait dire, aux mots à employer, et puis sans comprendre comment c’est arrivé, on est déjà en train de prendre la personne dans les bras. Il est important de se connaître, de savoir ce qui nous fait réagir, ce à quoi on est particulièrement sensible, car les émotions sont un processus très prégnant. Quand elles surviennent, elles sont plus fortes que nous

  Catherine Aimelet-Périssol est médecin et psychothérapeute. Elle a écrit de nombreux ouvrages sur les émotions, dont Ma bible des émotions, parue aux  éditions Leduc.

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Institut de Logique Emotionnelle - 9 rue d'Avron 75020 Paris

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