Apprendre la logique de l’émotion

Adaptation et savoir : du vivant universel à l’intelligence humaine selon Bernard Lahire

Comprendre les lois du vivant, c’est agir avec lucidité : la connaissance représente notre levier d’adaptation et de liberté (relative – vu les lois fondamentales du vivant qui nous déterminent). Bernard Lahire, sociologue, rappelle que le savoir est une nécessité pour la survie individuelle et collective : « La science est donc bien une création. (…) Elle invente des voies et des moyens de comprendre le réel ».

Après « Les structures fondamentales des sociétés humaines », Bernard Lahire poursuit en publiant « Savoir ou Périr ». Ces deux ouvrages illustrent – entre autres – que la curiosité et le désir d’apprendre – de glaner des informations dans l’environnement – structurent tout le vivant, y compris ses extensions psychique, culturelle et sociale. Lahire souligne que tout organisme vivant apprend et s’adapte pour persévérer dans son être. En s’habituant, en apprenant, le vivant (une cellule, un bébé ou encore une plante) se conserve autant qu’il accroît ses moyens de survie. Chez l’humain, cette pulsion vitale prend une ampleur singulière : Lahire écrit « Le désir insatiable de savoir chez l’enfant, de la manipulation à l’interrogation, relève d’une nécessité vitale de base » et plus loin « L’une des grandes spécificités de l’enfant humain réside toutefois dans le fait de pouvoir, grâce au langage, exprimer son puissant désir de comprendre son environnement en sollicitant les adultes de son entourage, et plus spécifiquement en les interrogeant. La période des « pourquoi ? » de l’enfance, généralement située entre trois et six ans… »

Ce principe résonne parfaitement avec la logique émotionnelle : chaque être existe et s’adapte dans son rapport à l’environnement.

Et c’est dans la transmission du savoir, l’accueil de l’étonnement et la valorisation de chaque expérience individuelle que se cultive une société résiliente. « Tout organisme vivant est capable d’apprentissage : au sens large, c’est la capacité à prélever des informations sur soi ou sur l’environnement, à les mémoriser et à en déduire pratiquement des actions qui permettent de maintenir ou d’accroître la survie ».

Lyfe, le vyvant : unité profonde du vivant

Bernard Lahire élargit la réflexion en mettant en lumière le concept de lyfe ou vyvant (qu’il emprunte à Stuart Bartlett et Michael L. Wong), une tentative de définition universelle de la vie, qui dépasse la définition terrestre du vivant. Toute forme de vie, sur Terre ou ailleurs, partage quatre piliers fondamentaux (issus des lois de la thermodyamique) :

  • dissipation (maîtrise de l’énergie),
  • autocatalyse (croissance et reproduction),
  • homéostasie (équilibre entre soi et l’environnement),
  • apprentissage (extraction et mémorisation d’informations).

Ces invariants biologiques soulignent la dimension globale et adaptative du vivant et le social humain s’inscrit dans un continuum qui relie les êtres vivants et toutes les formes collectives dans lesquelles ils s’organisent. Aussi soutenir les institutions (scolaires et universitaires) qui protègent et stimulent notre désir vital de savoir est une priorité.

Dans son dernier livre, « Savoir ou périr« , Lahire offre une réflexion profonde sur le rôle vital du savoir et de la création scientifique : transmettre et rechercher, c’est garantir nos capacités d’adaptation et c’est une responsabilité collective. « Créer et transmettre des savoirs sont la condition sine qua non de notre survie ». Cela fait écho, à notre mesure, à notre mission au sein de l’institut (lire « qui nous sommes ? » )

Le regard de Bernard Lahire stimule la curiosité des membres de l’Institut, bien au-delà des sphères de la recherche ou de la sociologie auxquelles il s’adresse en priorité. En réhabilitant l’audace d’explorer, la capacité d’émerveillement et la résistance créative, la recherche ouvre des ressources inestimables face aux défis contemporains. Adapter notre monde, plutôt que disparaître : voilà ce qu’on pourrait qualifier de véritable « progrès » humain, au delà d’un progrès réduit à sa portion congrue, c’est à dire uniquement technique.

Créer et transmettre le savoir : une authentique condition de survie, un acte de liberté et de responsabilité.

C’est aussi la mission de l’Institut qui entend diffuser ces savoirs aux personnes qui souhaitent apprendre la logique de leur émotion (au sens de processus vivant à l’oeuvre en soi).

Lire Savoir ou Périr, Bernard Lahire, aux Editions du Seuil
https://www.leslibraires.fr/livre/24564267-savoir-ou-perir-bernard-lahire-seuil

Comment pouvons-nous prendre conscience des messages du corps ?

Corps-esprit ne font qu’un pour mener notre vie. La nature est à l’œuvre au sein de l’être humain comme partout sur Terre grâce aux lois biologiques, physiques et chimiques.

Ce qui agit en nous de façon automatique, hors conscience, veille au bien de notre existence. Depuis les échanges moléculaires à la cicatrisation, depuis la circulation jusqu’aux mouvements qui permettent de marcher, de danser. Depuis la sensation de la douleur qui informe d’un dysfonctionnement d’une partie du corps, au système de stress qui nous invite à prendre une posture favorable à notre existence.

La sensorialité nous envoie de précieuses informations tant dans la relation que nous entretenons avec notre environnement que dans la relation que nous entretenons avec nous-même.
Nous recevons de l’information à chaque instant. L’extéroception, caractérise l’ensemble des sensations causées par des stimuli extérieurs via nos cinq sens. L’intéroception est en lien avec notre milieu intérieur, notre activité physiologique. Ces informations internes sont captées 24h/24, 7jr/7 pour permettre notre adaptation, quitte à déclencher l’émotion.

« Nos émotions sont des muses, des inspirations » à vivre en harmonie au sein de notre relation corps-esprit et avec le monde qui l’entoure. Le langage de la sensation, du mouvement profond, intime, biologique y participe grandement. Mais savons-nous écouter ces messages et les interpréter ?

Comme le dit Antonio Damasio dans son livre Sentir et Savoir : « Les sentiments font savoir à l’esprit qu’il est lié au corps ; qu’ils sont ensemble et s’appartiennent l’un à l’autre. […] Ils comblent naturellement le vide qui séparait classiquement le corps physique des phénomènes mentaux. » 

Ostéopathe depuis 15 ans, des patients viennent en consultation exprimer une gêne ou une douleur par suite d’un choc traumatique, émotionnel conscient ou inconscient. J’écoute les mots du patient qui décrivent ses maux et me guident pour écouter les désordres du corps. Grâce à mes connaissances précises en anatomie et physiologie, j’œuvre pour redonner la mobilité nécessaire au corps pour qu’il puisse à nouveau optimiser sa santé.

J’aime aller plus loin pour donner sens à ce qui leur arrive, et les invite à porter attention à leur posture mais aussi à leurs sentiments.  Pour se faire, j’aime raconter cette analogie : Imaginez une immense entreprise avec de multiples bureaux et des milliers d’employés. L’entreprise représente notre personne, chaque employé une cellule de notre corps, chaque service un système, chaque bureau au sein du service un organe. Dans cette analogie, le PDG représente notre conscience. Il a la charge de faire en sorte que l’entreprise perdure dans son existence avec un bon fonctionnement, mais aussi de prendre place dans le monde et de favoriser les échanges qu’il a avec. Il fait le lien entre les différents milieux : interne et externe. S’il ne porte son attention que sur ses échanges avec l’extérieur, et qu’il en oublie d’écouter ce qui se passe en interne, il prend le risque de revendications du personnel, d’accidents du travail, jusqu’aux grèves.

Dans cette transposition, les revendications sont les ressentis comme l’anxiété, la fatigue ou la colère, les accidents du travail seraient la douleur et les symptômes corporels de maladie, et les grèves la dépression, ou pire l’accident cardiaque par exemple. Au début, les messages sont à bas bruit, mais à défaut d’être entendus, ils enflent. Il suffit que le PDG porte son attention à ces messages et prenne une posture pour favoriser le bon fonctionnement, et c’est un travail d’équipe alors qui s’instaure pour que l’entreprise soit en bonne santé et remplisse sa mission au sein de la société.

Les sensations et les douleurs nous disent ce qui se passent en interne, les sentiments le rapport que nous entretenons avec nos proches, nos collègues, la société. Et si vous aussi vous preniez le temps de les écouter, de leur donner du sens, et de considérer la posture que vous prenez ?

Saphire Teitscheid
Ostéopathe et praticienne en Logique Emotionnelle